Étant donné que le retardataire EXPENDABLES 4 débarque sur les écrans d’ici quelques semaines, il nous semblait opportun de revenir sur la trilogie initiale, à plus forte raison que l’éditeur Metropolitan Filmexport vient de la ressortir dans un coffret 4K UHD relativement soigné.
Le premier EXPENDABLES n’est peut-être pas un film de la trempe d’un ROCKY ou d’un RAMBO mais à sa sortie en 2010, il avait le mérite d’aller à contre-courant du cinéma d’action moderne, en mettant en avant des vedettes de la série B et d’anciennes gloires du cinéma d’action des années 80 dans une œuvre pas sophistiquée pour deux sous, mais néanmoins conçue dans la sueur et le sang. Pour Sylvester Stallone, l’enjeu était simple : après avoir donné ses lettres de noblesse au personnage qui l’a rendu célèbre avec ROCKY BALBOA, après avoir permis à John J. Rambo de rentrer au bercail dans JOHN RAMBO, il fallait qu’il démontre qu’il en avait encore dans le ventre, qu’il était bel et bien le « Last action Hero » de sa génération. Et à 60 ans passés, Sly a tout donné dans EXPENDABLES, comme si c’était la dernière fois. Quoi qu’on pense du premier opus, le projet tout entier a été porté par un Sylvester Stallone, alors âgé de 63 ans et toujours prompt à taper un sprint derrière un hydravion, sauter d’un camion explosif pour atterrir sur le sol en vidant son chargeur sur cinq cascadeurs et s’envoyer des patates monumentales avec des gros qui font trois têtes de plus que lui, le tout pour l’amour de l’art. Cette ténacité, ce caractère de laissé-pour-compte qui refuse de sortir de la course, c’est la thématique qui parcoure toute la carrière de Sly, dans ses films les plus personnels du moins. EXPENDABLES en fait partie, et c’est clairement ce sentiment qui permet au film de surpasser tous ses nombreux défauts. Car malgré un concept initial (qui réunit Jason Statham, Jet Li, Dolph Lundgren et consorts autour de Stallone) qui assure certainement le spectacle (sans les autres musculeux, Sly aurait eu du mal à comptabiliser autant de macchabées à lui tout seul), le film repose entièrement sur les épaules de sa star et de son dévouement au nom d’un cinéma en voie de disparition et qu’il a dûment représenté pendant des années. C’est d’autant plus flagrant pour celui qui regarde l’excellent documentaire INFERNO, réalisé par John Herzfeld en 2009. Suivant Sylvester Stallone sur le tournage particulièrement éprouvant du premier EXPENDABLES, le réalisateur (et ami de longue date, puisqu’il jouait déjà les seconds couteaux dans COBRA) dresse un portrait fascinant de la star, en présentant ses doutes et ses fêlures (jusque dans les douloureuses visites chez le médecin) pour mieux saisir l’essence de sa longévité et de sa ténacité. Une fois encore, ce précieux document se retrouve dans les bonus de la nouvelle édition UHD et confirme à quel point l’aspect chaotique du film provient de la méthode instinctive de Stallone, qui improvise la plupart des scènes sur le plateau, y compris les passages les plus explosifs ! Dispensant quelques philosophies typiques de Sly (du genre « Les balles, c’est facile à trouver, ça coûte 23 cents. Les émotions, ça ne s’achète pas, ça n’a pas de prix »), le documentaire confirme son statut d’homme-orchestre totalement unique dans le paysage hollywoodien, tant il est l’une des rares stars susceptibles de prétendre au statut d’auteur au sens propre du terme.
On l’a dit, l’abnégation cinématographique de Sylvester Stallone représente clairement le cœur du premier film et à cet âge-là, il était difficile pour le comédien de forcer sa bonne fortune une seconde fois. En passant le flambeau à un autre réalisateur (le faiseur Simon West, mais il garde un œil sur toute la smala), Sly prend le risque de faire une suite pour des raisons un peu moins nobles. Et d’une certaine manière, EXPENDABLES 2 confirme la volonté de ses auteurs de faire un film moins personnel et plus volontiers « franchisable ». De fait, cette suite ne s’embarrasse pas vraiment d’une intrigue plus sophistiquée, mais elle évite tout de même les étranges raccourcis du premier film (comme le retour final de Dolph Lundgren) pour filer plus droit vers sa conclusion explosive, qui promet la réunion de toutes les grosses stars du genre, prêtes à s’envoyer des bons bourres-pifs dans la tronche. Ils sont venus, ils sont tous là : Bruce, Arnold, JCVD et même ce bon vieux Chuck Norris, qui te fait péter un tank et trois demi-douzaines de malfrats avant même de faire son apparition à l’écran. Seulement voilà, la force de cet EXPENDABLES 2 est aussi sa faiblesse, car aucun de ces éminents représentants de la bonne grosse main dans la gueule ne semble ici y croire autant que Sly ne pouvait le faire sur le premier film. Bruce et Arnold sortent enfin les gros tromblons, mais n’en finissent plus de s’envoyer des vannes miteuses (« I’ll be back ! » dit l’un, « Yippi-Kay-Yee ! » lui répond l’autre. Gros niveau de blagues de papa !), et Chuck est ici réduit à sa notoriété de « meme » internet, avec une petite pointe de « Chuck Norris Fact » mal digérée. Quant à ce bon vieux Jean-Claude, heureusement que le film lui ménage un chouette mano-a-mano avec Sly, tant sa désinvolture – et le fait que sa tête décapitée termine dans un baluchon !! – semblent indiquer que sa présence au générique n’est pas vraiment appréciée à sa juste valeur (il avait notoirement refusé d’apparaître dans le premier film). Dans les bonus du film, on peut cependant reconnaître son éternel côté sautillant, tant il semble constamment prêt à exécuter un petit pas de danse façon KICKBOXER. Il aurait peut-être dû, d’ailleurs !

Ceci étant dit, une fois qu’il sort de sa logique de « fan service » (une portion envahissante du film, dont l’approche cynique saute malheureusement au visage), EXPENDABLES 2 envoie tout de même la purée. Foi de bourrin, la scène d’ouverture reste certainement le gros moment musclé de cette suite, un passage bien belliqueux comme on les aime : ici, on fait voler des motos dans des hélicos, on défonce des portes massives à coups de béliers, on envoie Jet Li faire 10 kicks d’affilée, on explose des crânes au sniper, on saute sur des tyroliennes en tirant sur tout ce qui bouge et on fait péter des bateaux et des ponts dans tous les sens, le tout sans jamais regarder derrière soi ! L’esprit d’équipe est ici un peu plus organique, même si des masses comme Terry Crews et Randy Couture sont un peu relégués au rang de faire-valoir (une scène coupée leur refile un peu plus de biscuit), et le film s’offre même quelques belles idées, comme cette fusillade dans un décor à l’ancienne qui évoque, par défaut, les vieux films de gangsters des années 30, ou encore cette sous-intrigue vengeresse qui se permet même une ou deux apartés introspectives typiques du cinéma de Sylvester Stallone. Cet aspect aurait probablement été plus touchant si le personnage de Mickey Rourke était vraiment l’objet de la vengeance, comme c’était prévu à l’origine, mais ces petits moments surnagent malgré tout. Maintenant, s’il est évident que Stallone se repose sur ses lauriers (quelques arrêts sur image permettent de constater d’affreux masques numériques sur certaines bastons de Sly), EXPENDABLES 2 n’a pas vraiment à rougir de son modèle, aussi imparfait soit-il. La différence principale ? Le cœur est définitivement remplacé par le biceps, et ce jusque dans une amourette expédiée en trois lignes de dialogue. Comme une manière de dire qu’on n’est quand même pas là pour se faire des toutouches sous la douche !
Les choses se gâtent sérieusement avec EXPENDABLES 3, qui semble tourner le dos au public initial de la franchise pour tenter de s’adresser aux petits mickeys. À chaque fois qu’il a tenté de draguer le public en suivant une mode lancée par les autres ou en ratissant très large, Sylvester Stallone a foutu sa carrière dans une sérieuse panade. Des titres bien putassiers comme NEW YORK COWBOY, L’EMBROUILLE EST DANS LE SAC, GET CARTER ou encore MISSION 3D : SPY KIDS 3 en attestent, et c’est probablement le prix à payer pour un comédien qui a bâti sa carrière sur des films d’autant plus honnêtes et intègres qu’ils sortaient des tripes. Avec EXPENDABLES 3, les enjeux ont donc radicalement changé pour lui. Il ne s’agit définitivement plus d’assurer le spectacle avec ses muscles saillants, mais finalement de réunir le plus de vedettes ou de trognes possibles, quitte à les employer n’importe comment : désormais, c’est la taille du casting qui compte, pas ce qu’ils font ! Et ce n’est pas tout d’aller chercher Robert Davi, Wesley Snipes, Harrison Ford, Antonio Banderas ou Mel Gibson, mais encore faut-il leur offrir un semblant de rôle substantiel, une bonne raison d’être là. Ou du moins, quelque chose qui corresponde au moins à leur image publique.
Le premier problème d’EXPENDABLES 3 est donc qu’il semble distribuer les rôles sans aucune perspicacité. Si Wesley Snipes s’en sort à peu près, du fait que la prison n’a pas trop entaché ses capacités physiques et que le film lui réserve au moins la scène d’ouverture en guise d’introduction, les autres vedettes n’ont pas autant de chance, ou tout du moins ne se la foulent pas autant : Harrison Ford est ici présenté comme un pilote d’hélicoptère émérite histoire d’évoquer le personnage de Han Solo (Indiana Jones était peut-être plus opportun non ?), Robert Davi fait un petit tour et puis s’en va, et Antonio Banderas tape littéralement sur les nerfs en jouant le sidekick bondissant de service. Quant à Mel Gibson, son emploi de méchant névrotique est tout simplement une erreur de casting monumentale, tant il ne puise dans aucun référent de sa carrière pour vendre l’idée au public. Aucun des trois EXPENDABLES n’a jamais brillé par son écriture, le but de chaque film étant avant tout de se reposer sur les acquis de ses vedettes, avec plus ou moins de lucidité. Mais dans le cas de Mel Gibson, celui-ci n’a jamais donné l’image – au cinéma comme dans sa vie publique – d’un homme d’affaires méthodique et machiavélique qui fraye dans les soirées de l’ambassadeur pour vendre ses pétoires et ses bombes nucléaires (celui qui me cite MACHETE KILLS est viré !). Au contraire même, ce qui vaut à Mel Gibson ses incessants déboires avec les médias aurait plus à voir avec ses tendances maniaco-dépressives et son indélicat franc-parler, et on peut difficilement taxer la star de L’ARME FATALE d’être une sorte de mondain suave et calculateur. C’est dire à quel point le personnage de Stonebanks est à côté de la plaque et de toute évidence, Mel Gibson n’assure finalement que le service minimum, se reposant sur son évident charisme pour faire passer la pilule, et ne mouillant la chemise que pour un petit combat contre Sly dans la dernière bobine, un mano-a-mano qui n’a d’ailleurs absolument rien d’événementiel, vu le piètre résultat à l’écran.

Autre point très problématique : ce besoin impératif d’apporter du sang neuf à la franchise, en allant ainsi à l’encontre de l’un de ses fondements principaux. De toute évidence, le premier EXPENDABLES avait été conçu en réaction à la dérive du cinéma d’action moderne, à une époque où des films comme IDENTITÉ SECRÈTE peuvent se monter sans soucis financiers en faisant passer un gamin de 18 ans pour un véritable homme d’action. EXPENDABLES 3 emploie quatre jeunes gens comme Kellan Lutz, Victor Ortiz, Ronda Rousey et Glen Powell, mais aucun d’entre eux n’avait déjà fait ses preuves dans le genre (depuis, Glen Powell s’est illustré dans TOP GUN : MAVERICK). Et vu le résultat, ils n’ont toujours rien accompli de substantiel, si on excepte éventuellement les coups de tatanes de Ronda Rousey, qui était peut-être la seule à pouvoir prétendre à une carrière prometteuse dans le domaine de l’action, même si le projet n’a rien d’idéal pour démontrer ses capacités de bastonneuse émérite du MMA sur grand écran (au final, elle aura seulement rejoint le casting de FAST & FURIOUS 7 et 22 MILES). Mais là encore, leur présence empiète sur celle du casting original, et les habituels Jason Statham, Randy Couture, Arnold Schwarzenegger et autres Dolph Lundgren sont relégués au rang de faire-valoir, ce qui est définitivement le cas pour le pauvre Terry Crews, qui prend une balle dans le cul en début de film et disparaît jusqu’à l’épilogue, histoire de justifier très mollement la colère du personnage de Sly à l’égard de son ennemi juré. Ce point d’intrigue révèle d’ailleurs une autre problématique d’EXPENDABLES 3, qui a définitivement été pensé pour ratisser large. Pour la première fois dans le cadre de la franchise, EXPENDABLES 3 a été conçu comme un produit classé « PG-13 », ce qui ne signifie pas seulement que le film est expurgé de sa violence graphique (et ça se voit !), mais qu’il faut également mettre la pédale douce sur l’intensité de l’action. Les producteurs ont proposé une version classée « R » pour la première sortie du film en vidéo en 2014 (elle n’est pas présente sur cette édition), mais celle-ci ne sauve pas le film de la catastrophe étant donné qu’EXPENDABLES 3 répète tous les défauts inhérents à la franchise, sans jamais reproduire aucune de ses qualités. Là encore, il s’agit d’un film à l’intrigue prétexte, dont les travers de production sautent aux yeux (on ne cherche même plus à cacher que les scènes d’action se tournent dans des pauvres décors délabrés d’Europe de l’Est voués à une destruction imminente), où le planning de tournage se monte au détriment du projet, selon les disponibilités de chacun, et dont la longue durée (2h06 !) est tributaire de la taille du casting, et non pas du rythme de l’intrigue. Bref, c’est un ratage en bonne et due forme, qui n’avait par ailleurs aucune bonne raison de tenter de rendre la franchise plus « hype » et sophistiquée (à ce titre, la promo du film et ses affiches de hipsters étaient vraiment à côté de la plaque), ou du moins plus « civilisée » aux yeux d’un public qui n’est pas concerné par la sauvagerie intrinsèque du premier film. Quand on lui demande pourquoi EXPENDABLES 3 est classé « PG-13 », Sly répond « parce qu’on le devait à la jeune génération ». Vu la façon dont la « jeune génération » le lui a bien mal rendu (le film a été un bide à sa sortie en salles), on ne s’étonnera pas vraiment que la bande-annonce d’EXPENDABLES 4 prenne la forme d’un mot d’excuse, en appuyant sur le spectacle gore et bourrin à fond les ballons, quitte à assumer son statut de véritable film de « boomer » !
NB : ce coffret 4K UHD reprend seulement les montages cinéma du premier et du troisième film. EXPENDABLES – DIRECTOR’S CUT et EXPENDABLES 3 version « Unrated » ne sont donc pas disponibles sur ce coffret, qui propose cependant tous les bonus des précédentes éditions Blu-Ray. Les copies des deux premiers films sont proposées en HDR10 et en 4K « upscalés », conformément à leurs distributions en salles en 2K à l’époque de la sortie en 2010 et 2012. EXPENDABLES 3 est proposé en HDR10 et 4K natif, conformément à sa distribution en salles en 2014.
EXPENDABLES – LA TRILOGIE (4K ULTRA HD) est disponible depuis le 1er septembre.
EXPENDABLES 4 sort en salles le 11 octobre prochain.