Tout droit sorti de l’imagination fertile de Shu Takumi, auparavant créateur de la série des PHOENIX WRIGHT ACE ATTORNEY (et ses dérivés), GHOST TRICK : DÉTECTIVE FANTÔME avait su séduire ceux qui s’y étaient essayés à sa sortie sur Nintendo DS en 2011. Malheureusement, le jeu n’a pas connu un succès commercial à la hauteur de sa qualité. En cause, un contexte de sortie compliqué sur une console en fin de vie où le piratage s’était généralisé et un mois à peine avant l’arrivée sur le marché de sa successeur, la 3DS. Après un premier portage sur iOS en 2012, Capcom redonne une nouvelle chance au titre via une version remasterisée disponible sur toutes les plateformes du marché, l’occasion rêvée pour nous de revenir sur cet excellent jeu.
Compte tenu du passif de Capcom en matière d’exploitation de catalogue, il n’est guère étonnant de voir GHOST TRICK revenir sur le devant de la scène aujourd’hui. D’autant que ces dernières années, l’éditeur a ressorti une foultitude de jeux historiques, que ce soit par le biais de remakes pour les RESIDENT EVIL ou de remasters comme avec la récente MEGAMAN BATTLE NETWORK COLLECTION. Si le geste relève avant tout d’une logique commerciale, on ne s’en plaindra pas cette fois car cela permet à de nombreux classiques de retrouver une seconde jeunesse et surtout d’être préservés et disponibles sur les plateformes actuelles. GHOST TRICK bénéficie pour sa part d’un traitement à mi-chemin entre les deux approches : officiellement considéré comme un remaster, le jeu a en réalité été entièrement recrée via le « RE Engine », le moteur maison de Capcom, afin de pouvoir briller sur des écrans à la résolution largement supérieure à celle de la DS. Le moteur en question ayant largement fait ses preuves, la transition se fait de fort belle manière et cette nouvelle version ne trahit jamais les origines plus modestes du jeu tant elle vient en sublimer ses qualités graphiques, en particulier sa direction artistique et ses animations (dont nous reparlerons plus bas). Seule concession à la nature du titre, un format qui reste en 4/3 (en dehors de certaines transitions), une limitation que l’on pourra regretter mais qui ne suffit pas à ternir un travail de transposition de haute tenue. Pour le reste, on notera aussi une bande-son retravaillée (avec la possibilité de repasser sur l’originale à la volée) ainsi que l’ajout en bonus de galeries d’illustration, d’un juke-box et d’un mode puzzle pousse-pousse qui se débloque une fois le jeu terminé. Capcom confirme donc son statut de leader du marché en matière de curation de catalogue et livre rien moins que la version définitive du jeu, au point que même ceux qui l’ont déjà fini sur DS sauront y trouver leur compte. Ceci posé, qu’est-ce qui fait exactement de GHOST TRICK un véritable incontournable à nos yeux ?
POINT’N’CLICK ?
Pour ceux qui seraient complètement passé à côté du jeu et de son concept, GHOST TRICK nous met dans la peau de Sissel, un quidam qui se réveille dans une décharge et découvre qu’il amnésique. Pire encore, il vient de passer l’arme à gauche ! Tout n’est pas totalement noir pour notre héros cependant, puisque son statut de nouveau décédé lui confère deux pouvoirs forts utiles : projeter son âme dans les objets inanimés pour se déplacer ou agir dessus, et remonter le temps à 4 minutes avant la mort des futurs macchabés qu’il va croiser tout au long de son périple. En effet, ces deux pouvoirs ne sont pas de trop pour résoudre le mystère de son identité et de sa propre mort, étant donné qu’il n’a qu’une seule nuit pour y parvenir, avant que son âme ne disparaisse pour de bon… À l’instar de l’autre grande création de son auteur, GHOST TRICK repose avant tout sur un concept fort et original, appuyé par un gameplay simple directement hérité des jeux d’aventure point’n’click d’antan. Les comparaisons avec PHOENIX WRIGHT ne s’arrêtent cependant pas là, puisque GHOST TRICK hérite d’un goût similaire pour les personnages hauts en couleurs, une propension à faire intervenir le fantastique dans un contexte de thriller (ici, c’est au cœur même de l’intrigue) et bien entendu une emphase évidente sur la narration, les phases de gameplay servant essentiellement à faire avancer l’intrigue dans ce qui se veut avant tout comme un roman graphique interactif. Des similitudes qui ne signifient pas pour autant que GHOST TRICK se joue comme une simple redite des PHOENIX WRIGHT. Bien au contraire, on sent que Shu Takumi et son équipe bénéficient de l’expérience acquise à force de travail sur leur précédente série (qui comptait déjà quatre épisodes principaux et un spin-off à l’époque) et en profitent pour faire progresser la forme ludique bien particulière qu’ils se sont fixés. GHOST TRICK tend ainsi à corriger la plupart des erreurs de son modèle, notamment la logique parfois obtuse des puzzles, qui pouvait amener le joueur à être bloqué quand il ne suivait pas précisément le raisonnement imposé par le jeu, aussi illogique soit-il. Ici, les énigmes apparaissent comme beaucoup plus fluides et naturelles, et si elles impliquent toujours une certaine dose d’échec, celui-ci ne paraîtra jamais injuste. Par extension, la narration s’en retrouve également fluidifiée, le joueur ne bloquant jamais au point que l’attention décroche, et le jeu peut ainsi imposer un rythme plus trépidant en dispensant savamment ses révélations et twists successifs.
PLAISIR FANTÔME
Si son gameplay s’avère donc largement satisfaisant, à la fois simple sans être répétitif (car les développeurs prennent soin d’introduire de savoureuses variations au fur et à mesure de la progression), c’est surtout parce qu’il déroule une histoire bien ficelée et surtout excellemment racontée que GHOST TRICK s’avère particulièrement réussi. Les PHOENIX WRIGHT avaient déjà démontré le talent de Shu Takumi pour tisser des intrigues redoutablement tortueuses et sa capacité à impliquer le joueur dans son histoire et ses personnages. Cependant, le découpage de chaque jeu en épisodes indépendants créait un certain déséquilibre lié à l’intérêt proportionnel de chaque histoire, comme souvent dans les anthologies (il n’est d’ailleurs pas innocent que le meilleur opus de la série, TRIALS AND TRIBULATIONS, le soit précisément parce que ses différents épisodes forment un grand tout imbriqué). GHOST TRICK représente ainsi une réelle progression pour l’auteur, qui parvient à jongler avec un nombre considérable de concepts et autant de chausse-trappes potentielles et s’en sort toujours admirablement. Ainsi, le jeu joue avec une unité temporelle globale via la limite de temps donnée au personnage pour mener à bien sa mission, au sein de laquelle s’inscrivent en plus les temporalités liées au voyage dans le temps du personnage et au temps réel intervenant lors des sauvetages à mener ! D’aucuns n’auraient sorti de tout ça qu’une mélasse narrative informe, mais Takumi maintient jusqu’au bout le rythme et la cohérence de son intrigue, parvenant même in fine à l’inscrire dans la tradition des grands twists de fin qui vous amènent à reconsidérer l’intrigue sous un jour nouveau. Ce n’est pas un mince exploit quand on connait les problèmes que peut avoir le jeu vidéo en général quand il s’attaque à ce genre d’exercice. Pour tout dire, à ce niveau de maitrise du numéro d’équilibriste narratif, on pense carrément à la réussite similaire d’un RETOUR VERS LE FUTUR 2 ! Comme un bonheur n’arrive jamais seul, cette excellence narrative s’appuie sur une formidable galerie de personnages qui parviennent tour à tour à être touchants et hilarants (qui a joué au jeu se souvient forcément de Missile, le loulou de Poméranie hyperactif ou de Cabanela, l’inspecteur dansant). Tous bénéficient par ailleurs d’un superbe travail sur les animations qui renvoie aux plus belles heures de la rotoscopie façon ANOTHER WORLD et leur confère le caractère nécessaire, en faisant l’économie de voix digitalisées. Enfin, on ne manquera pas de saluer la capacité du jeu à tracer sa route loin de toute influence (on peut éventuellement penser à un DESTINATION FINALE inversé) et à chercher à proposer une expérience fondamentalement positive (passé les premiers chapitres, les pouvoirs sont utilisés uniquement pour sauver des vies et jamais pour tuer), un trait de caractère peut-être encore plus précieux à l’heure actuelle qu’il ne l’était au moment de la sortie initiale. À l’époque, GHOST TRICK représentait une bouffée d’air frais au milieu d’un océan de suites, de spin-offs et d’adaptations. Paradoxalement, alors que le jeu rejoint à son tour cette valse du recyclage via ce remaster de qualité, le constat reste le même et ce d’autant plus qu’au cours des douze années écoulées, aucun autre titre ne sera allé s’aventurer sur des terres similaires. Capcom ayant en prime donné au jeu son plus bel écrin jusque-là, il serait franchement regrettable de le voir passer à côté de son public pour la seconde fois. Tentez cette expérience ludique et narrative, elle est vraiment unique en son genre !
GHOST TRICK : DÉTECTIVE FANTÔME est disponible sur Xbox One, Playstation 4, Nintendo Switch et PC depuis le 30 juin 2023.