À PROPOS DES MARIONNETTES
Mon travail sur PINOCCHIO a été de superviser le design et la construction des marionnettes pour le film, dont la fabrication s’est étalée sur trois pays différents. Au total, nous avons fabriqué 200 marionnettes : une trentaine pour Pinocchio lui-même, et entre 15 et 20 pour les autres personnages principaux du film. Nous avons également créé une myriade de personnages secondaires, et des créatures mythologiques étant donné qu’il s’agit d’un film de Guillermo del Toro. En ma qualité de superviseure, je m’assure que les informations de Guillermo et du responsable de l’animation parviennent bien aux fabricants, qui vont en avoir besoin pour construire des marionnettes en trois dimensions intégralement articulées à partir des dessins de base. Quand je suis arrivée sur le film, nous avions tous nos personnages. Guy Davis, notre character designer, a travaillé avec Guillermo sur nombre de ses films et avait déjà conçu tous les personnages, uniquement sous forme de dessins. Nous avons donc fait venir un groupe de sculpteurs pour faire des « maquettes » de tous les personnages. Une « maquette » est une esquisse en argile, c’est la première fois que Guillermo a pu voir ses personnages en trois dimensions. Et c’est devenu un instrument de travail pour l’équipe. Nous nous référions toujours à la maquette, qui nous servait de guide stylistique, et nous attendions toujours l’accord de Guillermo sur la maquette avant de commencer à travailler dessus. C’était l’outil qui nous réunissaient tous dans l’atelier, que ce soit le responsable de l’animation, la personne qui allait fabriquer l’armature, celle qui allait faire le moule pour la sculpture, l’équipe responsable des costumes, des cheveux, etc. C’est de cette manière que nous pouvions résoudre les problèmes. J’étais chef de table et tous les gens autour déterminaient quel rôle ils devaient jouer. La première chose que l’on fait en général avec une marionnette, c’est de « décomposer » les sculptures. Avec une tête mécanique, on sait que la tête va devoir être amovible, qu’il va falloir faire plusieurs moules afin de pouvoir produire des versions différentes. Ce sera donc une partie distincte de la sculpture. Le corps sera une sculpture à part. Les maquettes sont en général sculptées avec le costume, pour donner une idée générale du personnage. Bien sûr, il a fallu enlever tout ça car Guillermo voulait que les costumes soient faits sur mesure en tissu. On sculpte souvent le corps, les mains et les pieds séparément car lorsqu’on anime, les mains sont souvent les éléments qui se cassent en premier. À l’échelle d’une marionnette, les doigts sont très petits et il y a des fils dedans, du coup après environ quatre plans, un doigt va casser. Il faut donc qu’ils soient remplaçables et ce en plein milieu d’un plan, car on ne sait jamais quand ça peut arriver (Rires). On sculpte donc toutes ces pièces et on les fait valider. On appelle cela « la sculpture de marionnettes à la De Vinci », car on sculpte dans la position la plus neutre possible afin que la pièce puisse subir n’importe quel étirement, une fois la marionnette finalisée. Ensuite, il faut faire un moule de toutes ces pièces car on ne fait pas qu’une seule marionnette, mais de multiples exemplaires. Si une marionnette se casse ou que nous nous rendons compte à la moitié du tournage qu’il nous en faut plus, nous devons avoir à disposition toutes les informations nécessaires pour en produire d’autres. Nous faisons des moules de tout, que l’on transmet au département des armatures, qui se met à construire les squelettes métalliques en partant des pieds. C’est un peu comme du Lego ou du Meccano, ils construisent dans le moule, qui leur indique où doivent se trouver les jointures et les articulations. Une fois que ceci est fait, ils prennent l’armature, l’insèrent dans le moule et c’est là que l’on va devoir créer la peau du personnage. Pour la peau, on se sert de mousse de latex et de silicone. Même dans le cas de visages de substitution, il y aura toujours du silicone dessus. Même sur Pinocchio, on triche avec des pièces de bois faites en silicone, de sorte qu’il puisse bouger les mains et que les fixations des bras puissent être mobiles et lui permettent de faire des mouvements exagérés. Dans les fixations des épaules, il y a ce que nous appelons des joints en silicone. On dirait qu’ils sont en bois mais ils permettent au petit ergot qui dépasse de bouger plus et donc de donner une plus grande mobilité. Nous utilisons une grande variété de silicones. Sur PINOCCHIO, on a principalement utilisé un type de silicone acrylique, qui est formidable mais qui se déchire très facilement. Donc il faut beaucoup de… On me demande souvent combien de temps ça prend de faire une de ces marionnettes et je réponds toujours que c’est du début de la fabrication jusqu’au dernier jour de tournage. Nous sommes constamment en train de réparer les marionnettes, de les adapter aux besoins du prochain plan dans lequel on va s’en servir… Cela peut donc prendre jusqu’à trois ans pour qu’une marionnette soit enfin véritablement finalisée.
À PROPOS DES COSTUMES
Une fois la peau appliquée sur les personnages, ils partent au département des costumes. C’est un endroit formidable à visiter, pour pouvoir voir travailler les costumières. Au début de la production, on va acheter les textiles. Nous sommes allés à Londres, Paris, New-York, toutes les grandes villes qui possèdent énormément d’entrepôts de textiles. Nous cherchions des tissus fins et très élastiques, donc l’invention du lycra décliné en coton et en soie a été du pain béni pour l’animation en stop-motion. Les marionnettes sont presque plus articulées et mobiles que les humains, les tissus doivent donc pouvoir vraiment s’étirer afin de ne pas gêner le mouvement. On part donc de tissus disponibles dans le commerce, que l’on va altérer afin de les rendre crédible au sein de notre univers. Pour le pantalon de Geppetto par exemple, nous avons utilisé une laine qui avait déjà le motif à rayures, mais nous avons peint par-dessus pour qu’elle soit plus en phase avec l’échelle de la marionnette. Pour les chaussettes, nous avons cousu dans des collants tricotés pour obtenir ces motifs à losanges. Et sa chemise est en lin mais avec un élastique afin qu’il puisse bien bouger. Nous avons également créé des petits faux plis, afin de donner l’impression que Geppetto a porté cette chemise toute sa vie. C’est une façon de faire croire au public que cette chemise est à l’échelle du personnage et qu’il la porte depuis 50 ans. Une fois les costumes finalisés, on va littéralement les coudre à-même la marionnette, on ne peut donc pas changer les costumes en un tournemain. On doit défaire les costumes pour les enlever et les remettre. Mais une fois que la marionnette est habillée, on va mettre une couche de peinture et faire du vieillissement pour donner l’impression que le costume est ancien et semble faire partie du personnage. Ce qu’il y a d’intéressant quand on travaille sur un film comme PINOCCHIO, c’est que tout doit coller à un style. Nous avons établi d’emblée un guide stylistique pour le film et tous les éléments, des brins d’herbe aux cailloux en passant par les arbres ou l’apparence d’une tache de sueur sous l’aisselle de Geppetto. Tous ont un langage dans ledit guide. C’était notre outil de référence et on s’en servait pour donner aux choses cet aspect usé. Ensuite, il s’agit de rassembler toutes ces composantes, de poser la tête sur la marionnette et coudre le costume autour. Même finalisée, une marionnette reste un objet inanimé. On a fabriqué une chose dont on espère qu’elle peut potentiellement nous donner la performance dont on a besoin pour le film. Mais on ne peut en être certain tant qu’elle n’est pas sur le plateau et, au sein de l’équipe, il faut être prêt à faire des modifications constantes à des fins de performance. En gros, il faut être là pour aider les animateurs à obtenir ce dont ils ont besoin pour s’en sortir.
À PROPOS DES TECHNIQUES D’ANIMATION
La démarche de Guillermo pour le film a été de diriger les animateurs comme s’ils étaient des comédiens. Il voulait que les animateurs disposent d’une grande capacité à injecter leur propre jeu dans les marionnettes. De ce fait, nous avons au début du projet eu un débat sur la façon de fabriquer les marionnettes. En stop-motion, on peut articuler les visages de trois façons distinctes, selon trois styles d’animation. D’abord il y a la « claymation », Aardman est connu pour cela avec WALLACE & GROMIT. On se sert d’argile que l’on anime image par image, en sculptant les expressions sur les visages. Pour les corps des personnages, les équipes d’Aardman ont généralement une approche assez similaire à la nôtre : un squelette en fil de fer recouvert d’argile, ou de silicone en imitation d’argile. Un autre style d’animation faciale, c’est l’animation mécanique. Ça, c’est quand il y a un petit crâne sous une peau en silicone, un peu comme si une peau humaine et des muscles le recouvraient. Et à l’intérieur du crâne, ça ressemble un peu à une montre suisse. Il y a un tas de petits rouages pour faire fonctionner les mouvements de la mâchoire, des joints à rotule rattachés aux blocs des lèvres. En gros, l’animateur manipule chaque expression image par image, ce qui lui permet de jouer par le biais de la marionnette. Guillermo tenait vraiment à ce qu’on emploie cette technique pour la plupart des personnages humains du film. La troisième technique d’animation faciale, c’est l’animation par substitution. C’est une technique très employée dans les films en stop-motion de ces quinze dernières années. Nous avons vu évoluer l’animation faciale en stop-motion via l’utilisation des ordinateurs et de l’impression en 3D. Dans l’animation par substitution, en gros, chaque forme de bouche est un nouveau masque qui se fixe sur la marionnette. On enlève un masque, on en met un nouveau avec une bouche d’une autre forme et ça finit par former les voyelles et les consonnes d’une phrase. Si Guillermo n’a pas voulu utiliser cette méthode pour tous les personnages, c’est parce qu’elle limite le jeu des animateurs. On y utilise une bibliothèque de visages préexistants donc l’animateur reçoit une boite de visages dont l’utilisation est déterminée à l’avance. Et cela rogne sur la marge de l’animateur pour s’exprimer dans son jeu. C’est pourquoi Guillermo voulait que nous utilisions principalement l’animation mécanique, afin que les animateurs puissent réellement se projeter dans les marionnettes et jouer comme des comédiens. Au tout début, nous avons fait un essai sur Pinocchio lui-même avec une peau en silicone. Pinocchio étant un pantin de bois, nous nous sommes rendus compte qu’une version robotique d’un tel personnage ne fonctionnait pas du tout. Nous avons décidé que pour lui, nous utiliserions des visages de substitution mais nous avons bien fait attention à la quantité de visages et d’expressions fabriquées afin que cela reste cohérent avec le film que nous faisions. Vous savez sans doute qu’un film en stop-motion se fait en 24 images, et que 24 mouvements d’une marionnette font une seconde de film. Sur PINOCCHIO, nous avons pu jouer avec ça. En fonction du degré de fluidité de mouvement souhaité, ou pour rajouter du caractère aux marionnettes, nous pouvions tourner à 12 images, 12 mouvements. Sur les films du studio Laika par exemple, sur lesquels j’ai travaillé auparavant, nous tournions en 24 images/24 mouvements mais sur celui-ci, nous avons opté pour 12 mouvements par seconde. La plupart des spectateurs ne s’en rendent pas compte, mais ce sera peut-être votre cas. Mais c’est une donnée que nous avons prise en compte au moment de concevoir les différents visages de Pinocchio. Guillermo ne voulait pas que les visages donnent l’impression d’avoir été créés par ordinateur. En plus des têtes mécaniques des personnages humains, nous avons veillé à la quantité d’expressions qu’avait Pinocchio. Cela fait également partie de son personnage. Quand il prend vie sous la forme d’un pantin de bois, il est mal à l’aise dans son propre corps et au fur et à mesure que le film avance, il gagne en aisance et en fluidité avec son corps et fait donc appel à plus d’expressions. Cela faisait partie de son personnage dès le départ, et c’était donc logique d’utiliser cette technique de substitution.
Traduction : Matthieu Galley
PINOCCHIO est disponible sur Netflix depuis le 9 décembre 2022.