Le duo composé de Jordan Peele et Keegan Michael-Key explose sur la chaine Comedy Central (et surtout sur Internet) en 2012 et donne lieu à des heures et des heures de sketchs comiques absolument hilarants dans le show télé KEY AND PEELE. En 2016, le duo se lance dans le cinéma avec KEANU, chouette comédie d’action totalement passée inaperçue chez nous. Retour sur ce mini-âge d’or de la comédie américaine avec le réalisateur Peter Atencio, véritable troisième homme de ce duo magique !
Avant de réaliser KEANU, vous avez longuement travaillé avec Jordan Peele et Keegan Michael-Key sur leur show KEY & PEELE, dont vous avez réalisé la plupart des sketchs. Comment les avez-vous rencontrés ?
J’ai rencontré Keegan en premier, il y a très longtemps puisque c’était pour un pilote destiné au réseau social MySpace. C’est dire si ça date ! Avant d’exploser en plein vol, MySpace voulait créer sa propre web-série et le manager de Keegan a suggéré mon nom pour tourner ce pilote. Ce n’était vraiment pas terrible, notre travail n’a pas été retenu mais nous nous sommes bien amusés et nous avons gardé le contact. En 2011, Keegan me relance pour un show télé qu’il veut faire avec Jordan Peele. Je le rencontre à ce moment-là et ça se passe à merveille. Je leur soumets mon idée pour tourner ce qui va devenir KEY & PEELE. En tant qu’amateur de cinéma de genre, mon idée est de retrouver le style des films que nous allons parodier. Keegan et Jordan sont partants. Surtout Jordan d’ailleurs, qui est très cinéphile. Mais Comedy Central ne voulait pas de moi en premier lieu. J’avais 27 ans à l’époque, et même si j’avais tourné beaucoup de sketchs comiques à l’époque, je n’avais pas énormément d’expérience en télévision. Ils me considéraient encore trop jeune et trop inexpérimenté pour porter une telle émission. Ils ont engagé Neal Brennan, un humoriste qui a co-créé le CHAPPELLE’S SHOW avec Dave Chappelle. Mais celui-ci s’est retiré du projet à quelques semaines du tournage du pilote. Comedy Central voulait un nouveau CHAPPELLE’S SHOW, c’est-à-dire une émission axée sur la comédie raciale, et je pense que Neal s’est dit qu’il avait déjà tourné une émission de ce type, et qu’il ne voulait pas se répéter. C’est ce qui a permis à Keegan et à Jordan de m’imposer sur le projet. J’en ai parlé avec Neal depuis et je lui ai dit que je lui en devais une, car le fait qu’il quitte le projet a ouvert la brèche pour moi.
Le duo a explosé en 2012, grâce au succès de KEY & PEELE. Comment expliquez-vous cette alchimie entre Keegan Michael-Key et Jordan Peele ?
Ce sont deux personnalités très intelligentes, qui ont développé un point de vue unique sur la question de l’identité. Je pense que c’est l’un des thèmes de l’émission, le fait de questionner son identité et sa place dans le monde. Et le fait que Keegan et Jordan soient métis et qu’ils aient principalement été élevés par une mère blanche leur donne un point de vue différent sur le monde. En grandissant, ils n’ont pas vraiment réussis à intégrer une communauté spécifique et c’est de là que viennent les nombreux commentaires raciaux de KEY & PEELE. Mais je pense que l’émission questionne également la masculinité, ce que cela signifie de grandir en tant qu’homme au sein des deux communautés auxquelles ils appartiennent. Je crois qu’ils proposent un humour un peu différent de ceux des comiques noirs comme Chris Rock ou Eddie Murphy, dans le sens où ils ont permis aux différentes communautés de rire de certains éléments qui pouvaient sembler tabous à une certaine époque. J’en reviens à cette notion de masculinité en guise d’exemple, car elle est très spécifique chez les comiques noirs. Et même s’ils en ont joué, Keegan Michael-Key et Jordan Peele ont également décidé de s’en moquer à leur façon. C’était vraiment novateur au moment où KEY & PEELE a commencé à être diffusé. Si on combine ces éléments à cet amour du cinéma dont je vous parlais plus haut, je pense que c’est vraiment ce qui a fait le succès de l’émission.
Comment est-ce que vous vous êtes intégré dans leur processus de travail ? Est-ce que vous étiez le troisième homme sur KEY & PEELE ?
C’est intéressant, car mon rôle a évolué au fil du temps. Quand je suis revenu sur le projet, le pilote était déjà écrit, et je pense que leur expérience télévisuelle consistait à donner quelques notes au réalisateur, pour qu’il fasse son truc de son côté. C’est comme ça que ça passe en général dans la comédie télévisuelle. Mais après le tournage du pilote, je leur ai dit que ce serait idéal pour moi d’intervenir dans le processus créatif au moment de l’écriture, afin d’incorporer le plus d’idées visuelles possibles dès le départ. Au cours de la première saison, les scénaristes Jay Martel et Ian Roberts ont grandement aidés à faire de la série ce qu’elle est devenue par la suite. Ce sont eux qui ont organisé la « Writer’s room » de KEY & PEELE, qui ont aidé Keegan Michael-Key et Jordan Peele à organiser leurs idées et qui ont instauré un processus de travail très fructueux sur la série. C’est ce qui m’a permis d’être de plus en plus impliqué dans l’écriture des sketchs en amont, et de proposer des idées visuelles qui pourraient remplacer telle ligne de dialogue, ou encore de suggérer les genres de films que nous pourrions détourner pour telle ou telle matière comique. C’est une collaboration fructueuse qui s’est intensifiée au cours des cinq saisons de KEY & PEELE, et je dois vraiment les remercier pour cette ouverture d’esprit, qui n’est pas vraiment habituelle dans le cadre de la comédie télévisuelle américaine. Je rajouterais d’ailleurs que nous avions instauré une sorte de « méritocratie du gag » sur le plateau, dans le sens ou c’est l’idée la plus drôle qui l’emporte. Peu importe qu’elle vienne de Keegan, de Jordan, de moi ou d’un autre membre de l’équipe, si l’idée est drôle, on l’utilise. Et c’est vraiment une merveilleuse façon de travailler.
Avez-vous été surpris par le succès de KEY & PEELE ?
Oui, car je n’avais jamais participé à un projet qui a connu un succès de cette ampleur. Mais cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Nous avions conscience que l’émission avait trouvé un certain public car les spectateurs nous prenaient à partie pour nous dire qu’ils aimaient bien KEY & PEELE. Ayant posté des tonnes de vidéos comiques sur YouTube, j’avais conscience qu’Internet serait vraiment l’endroit idéal pour faire connaître l’émission mais Comedy Central n’était pas du même avis. Durant la première saison, ils ont mis en ligne des portions de sketchs mais je leur disais qu’il fallait vraiment y aller à fond. C’était vraiment le moyen idéal de faire en sorte que les gens découvrent notre travail et le partagent avec leurs amis. Finalement, ils ont cédés au moment de la saison 2, et nous ont autorisés à mettre en ligne deux sketchs par épisode. C’est à ce moment-là que KEY & PEELE a vraiment intégré la culture populaire. Les gens arrêtaient Jordan Peele et Keegan Michael-Key pour les féliciter sur leurs vidéos YouTube et ils devaient alors préciser que l’émission passait également à la télévision.
Et puis, il y a également eu le sketch avec le Président Obama, dans lequel Keegan Michael-Key joue Luther, l’interprète qui retranscrit la colère du discours passif-agressif du Président. Cette collaboration a fait exploser la popularité de l’émission, j’imagine ?
Oui, c’était dingue. Nous avions créé ce personnage lors de la première saison pour un sketch en particulier, mais il a explosé durant la saison 2, car nous étions en pleine période électorale. Les médias se sont emparés du fait que Keegan Michael-Key et Jordan Peele sont métis, comme le Président Obama. Ils y ont vu une certaine connivence. Pour notre part, nous avons décidé de faire un sketch par semaine sur Luther pendant la période électorale, et nous les tournions un peu à l’arrache. L’idée était de les monter la veille de la diffusion, afin de proposer le sketch le plus connecté à l’actualité possible. Cela nous a apporté énormément d’exposition, mais c’est vraiment durant la dernière saison que la Maison-Blanche a contactée Keegan et Jordan pour leur proposer cette collaboration lors du diner annuel de l’association des correspondants de la Maison-Blanche. C’était en 2015 et c’était complètement dingue. C’est une chose de savoir que le Président Obama appréciait nos sketchs. C’en est une autre de recevoir cette proposition de faire un sketch sur scène, avec lui ! Keegan était vraiment très heureux de pouvoir le faire en tout cas.
Quel est votre sketch préféré ?
Pour moi, c’est un sketch qui s’appelle « Aerobics Meltdown ». Ce que j’aime avec KEY AND PEELE, c’est que nous avions l’occasion de faire de l’humour noir, très sombre et parfois désespéré. Nous étions souvent sur la corde raide, au niveau du ton. Et ce sketch est très représentatif de cela, car nous faisons le pastiche d’une émission d’aérobic, durant laquelle le danseur interprété par Keegan reçoit des nouvelles terribles mais doit continuer de danser comme un idiot et garder le sourire, car il est en direct. C’est à la fois bizarre et hilarant, et c’est le genre de choses dont je suis particulièrement fier avec cette émission.
« AEROBICS MELTDOWN » : le sketch préféré de Peter Atencio
À quel moment avez-vous commencé à évoquer l’idée d’un long-métrage ?
De mémoire, nous en avons discuté au moment de la saison 2, avec ce sketch dans lequel Keegan interprète un remplaçant qui prononce les noms des élèves de travers. Nous avons mis le sketch en ligne, et il a atteint les 100 millions de vues très rapidement. C’est alors qu’un studio de cinéma nous a contacté pour nous dire qu’ils voulaient en tirer un long-métrage. Avec Keegan et Jordan, nous avions déjà parlé du fait que ce serait sympa de faire un film ensemble, mais c’est la première fois que cela nous a semblé possible. De sa propre initiative, Jordan a alors décidé d’écrire un scénario dans son coin, en collaboration avec Alex Rubens, l’un des scénaristes de l’émission. Leur idée est celle qui a donné la première version de KEANU. Mais c’est vraiment quand nous avons tourné les saisons 4 et 5 en même temps, vers la fin de l’année 2014 que le projet a vraiment été lancé. Et il s’est fait très rapidement, ce qui n’est pas habituel pour un long-métrage.
Comment est-ce qu’on raconte le pitch d’un film sur un chat de gouttière tellement mignon que tous les gens qui croisent sa route se battent entre eux pour le récupérer ?
(Rires) Jordan Peele est vraiment très doué pour comprendre ce que le public veut voir. Et l’émission était si populaire que nous n’avons pas eu besoin de faire le pitch du film, ce qui est une chance j’en conviens ! Le scénario était déjà terminé quand les contrats ont été signés, et le concept de KEANU était de faire la vidéo de chat – de « LOL Cats » – la plus barrée qui soit. Sauf que c’est un long-métrage de cinéma. Sur le papier, le film parlait déjà de masculinité et d’identité comme KEY & PEELE, mais il y avait aussi un chat super mignon dedans. Le projet a suscité un certain intérêt au sein des studios, et c’est finalement New Line qui a remporté la mise.
Est-ce que vous avez toujours été impliqué dans la réalisation du film ?
Pour Keegan et Jordan, il a toujours été question que je sois le réalisateur de KEANU, même si je n’ai pas été impliqué dans les prémices du projet. Quand j’ai lu le scénario, j’ai préparé une bible pour expliquer comment je comptais réaliser le film, et c’était une sorte d’audition pour New Line car je savais que j’allais devoir travailler très dur pour tourner ce long-métrage. J’étais nerveux car même si j’avais déjà réalisé des long-métrages auparavant, c’était des petites productions indépendantes franchement pas terribles, donc je voulais vraiment impressionner mon auditoire. À la fin de la présentation, les gens de New Line m’ont avoué qu’il avait toujours été question de m’engager pour faire le film, mais que la bible avait fait son petit effet. Pour eux, il était question de retrouver ce qui faisait le succès de l’émission au cinéma, donc ils nous ont laissé préparer le projet comme bon nous semble.
Comment êtes-vous passé d’une petite émission de comédie télévisée à un budget de 15 millions de dollars pour KEANU ? Ce n’est pas un énorme budget, mais j’imagine que c’est quand même ce qui permet de faire la différence au cinéma ?
Quand on m’a annoncé que j’allais avoir 15 millions de dollars pour faire le film, j’ai sauté au plafond ! En comparaison aux budgets que nous avions sur KEY & PEELE, c’était vraiment Byzance ! Sauf que cela coûte vraiment plus cher de tourner un film de cinéma, que de faire une petite émission de comédie dans son coin. Je voulais vraiment faire en sorte que le film ait l’air épique, à la manière des films d’action des années 90, comme ceux de Ridley et Tony Scott. Je voulais tourner des grandes scènes d’action, avec énormément de détails, beaucoup de décors différents et des mouvements de caméra élaborés. Cet argent nous a permis de donner de l’ampleur à certains moments-clés mais autrement, nous avions les mêmes soucis de budget que sur KEY & PEELE. Par exemple, à la télévision, la post-production se fait vraiment à l’économie. Mais au cinéma, les studios aiment que leurs films soient mixés dans des studios aménagés à même le plateau par exemple, et cela a un coût. Déjà, si on retire tous les salaires importants sur le film, on peut dire que le budget passe de 15 millions à 10 millions de dollars. Mais avec les coûts additionnels, on a fini par tourner KEANU pour cinq millions de dollars. Et je dois avouer que c’est beaucoup moins d’argent que ce que j’avais en tête.
La bande-annonce de KEANU
Le chaton est l’autre star du film. Comment est-ce qu’on dirige un chat ?
Le fait est que notre équipe de dresseurs animaliers était vraiment incroyable, et nous avons peut-être eu beaucoup de chance avec les animaux également. Nous avions deux équipes de huit chats, qui étaient tous des chats de la SPA. Et comme ils grandissent très vite à cet âge-là, nous les avons entrainés pour une discipline spécifique à chaque fois. Nous avions d’abord le chat qui adore être caressé. Il y avait également le chat motivé par la nourriture : on lui demande de se déplacer d’un point A à un point B, et il le fait pour obtenir une friandise. Ensuite, nous avons entrainé un chat pour qu’il soit à l’aise dans un environnement sonore bruyant, comme les coups de feu. C’est le chat que nous avons utilisé pour les scènes d’action. Tout est une question de limites en réalité, de ce qu’un chat est capable de faire devant la caméra ou pas. Comme j’avais déjà travaillé avec des animaux auparavant, j’avais une idée du genre de séquences qu’il est possible de créer autour d’un chat. Et ils ont tous été incroyables. Nous n’avons pas eu un seul jour de frustration sur le plateau.
Avez-vous utilisé des images de synthèse pour certains plans ?
Seulement pour quelques images durant la poursuite à la fin, quand Keanu se trouve sur le capot de la voiture. Nous avons essayé d’utiliser un ventilateur pour simuler la vitesse sur la fourrure du chat, mais il se trouve que les chats détestent les ventilateurs. Du coup, l’effet de vent sur la fourrure du chat est en images de synthèse, et nous avons également augmenté le saut dans la voiture mais c’est tout. Au départ, le studio avait prévu un petit budget pour les images de synthèse du chat, mais je leur ai dit que nous allions tout tourner en vrai et ils m’ont traité de fou. Et finalement en cours de tournage, j’ai réussi à les convaincre de reverser cette somme dans le budget d’un autre département.
J’aimerais que vous me parliez de la scène de deal de drogue, chez Anna Faris. C’est une scène étrange, qui installe un certain malaise dans l’humour, et je trouve que c’est vraiment le passage le plus réussi du film. Comment avez-vous travaillé ce moment clé ?
Dans le scénario original, Jordan voulait qu’il y ait un moment spécifique dans lequel son personnage prend vraiment conscience de la situation dangereuse dans laquelle il s’est mis. Donc cette scène a toujours été là, même si elle prenait une forme différente. La constante, c’est que nous voulions qu’une célébrité vienne faire une apparition pour jouer son propre rôle. Mais c’est difficile à obtenir, surtout quand on tourne un film à petit budget à la Nouvelle-Orléans, en plein été. Pendant des mois, nous avons sollicité plusieurs vedettes sans obtenir de réponse positive. Un acteur – que je ne nommerais pas – a fini par dire oui, mais au début du tournage, il a fini par se désister en avançant des raisons totalement absurdes. Donc nous avons commencé à paniquer, mais il se trouve qu’Anna Faris était à la Nouvelle-Orléans à ce moment-là, car son mari de l’époque, Chris Pratt, était en train de tourner le remake des SEPT MERCENAIRES pour Antoine Fuqua. Elle n’avait pas grand-chose à faire et quand on lui a envoyé le scénario, elle a tout de suite compris l’idée et a dit oui immédiatement. Je voulais que la scène soit sombre et dérangeante, afin de changer le ton du film en cours de route. Jusque-là, nous sommes dans une comédie stupide et bon enfant et d’un seul coup, le spectateur comprend qu’il y a désormais des enjeux de vie ou de mort. Donc je voulais que la violence de la scène soit viscérale. Je me suis inspiré d’une scène similaire dans BOOGIE NIGHTS de Paul Thomas Anderson, et c’est une bien meilleure scène au passage. Jordan voulait absolument utiliser cette idée autour du jeu « action ou vérité ? » et même si j’avais quelques doutes à ce sujet durant les répétitions, je lui ai fait confiance pendant le tournage car il était vraiment sur de lui. La scène a été amusante à tourner, mais c’était très fatiguant car nous étions à la fin du tournage, et j’étais vraiment épuisé. Mais Anna Faris a tout donné, et elle est vraiment excellente dans cette scène. Je suis d’accord avec vous, c’est également ma scène préférée dans le film.
Comment l’avez-vous travaillée au montage ?
Nous avons passé plusieurs semaines, afin de tenter de trouver le bon rythme. Je me demandais constamment comment faire pour revenir dans la voiture avec Keegan, et ce qu’il fallait absolument garder ou retirer. Nous avions énormément de versions différentes de cette scène, et c’est probablement celle qui faisait le plus peur au studio. Je pense qu’ils avaient du mal à comprendre le ton que nous avions en tête. Je crois qu’ils voulaient une comédie qui propose un nombre constant de vannes à la minute, alors qu’il n’y a pas vraiment d’humour dans cette scène. Ils nous ont demandé de la rendre de plus en plus courte à chaque fois, et il a fallu se battre pour la maintenir en l’état car c’est précisément le malaise qui permet de faire fonctionner la scène.
Cette scène sent le vécu. On se demande presque si vous n’avez pas été témoin de ce genre de moments à Hollywood. C’est le cas ?
Quand KEY AND PEELE a explosé, Jordan et Keegan sont vraiment devenus très célèbres. Ils étaient déjà un peu connus car ils avaient fait MADTV par exemple. Mais avec KEY AND PEELE, ça a pris des proportions démentielles et ils se sont retrouvés constamment sollicités. Ils m’ont alors raconté certaines de leurs interactions avec des célébrités, et c’était vraiment étrange. Je pense que je peux vous donner cet exemple, étant donné qu’il n’a plus vraiment de carrière en ce moment, mais leur rencontre avec Brett Ratner a probablement inspiré cette scène. Ils m’ont raconté la fois où ils sont allés dans son manoir, avec des filles partout. Pour eux, c’était un moment vraiment très étrange et inconfortable. C’est cette énergie qu’on a essayé de capter, ce moment où quelqu’un se comporte de manière irrationnelle et on ne sait pas vraiment comment réagir. Cela arrivait beaucoup dans leurs vies, au moment du succès de KEY AND PEELE.
En parlant d’apparition-surprise, vous avez également réussi à avoir Keanu Reeves dans le film, ce qui est opportun sachant que le chaton en titre porte son nom…
Oui, c’était dingue en fait. Quand la première bande-annonce a été diffusée au début de l’année 2016, elle a fait un carton sur Internet. La sœur de Keanu Reeves l’a vu et lui a envoyé. Il a aimé la bande-annonce et il nous a spontanément contactés par l’intermédiaire de son agent pour nous dire qu’il avait été flatté par le fait que nous appelions le chaton comme lui, et pour nous demander s’il pouvait nous aider d’une façon ou d’une autre. Je l’ai appelé alors qu’il était en train de tourner un film en Italie, et je lui ai demandé s’il pouvait faire la voix du chaton, car nous étions en train de rajouter une petite séquence pendant le trip de Keegan, à la demande du studio. L’idée l’a amusé, et nous avons organisé une petite session d’enregistrement à distance, entre Rome et Los Angeles. Il a passé une heure à ressortir certaines de ses punchlines les plus connues et nous avons gardé celles qui nous plaisaient le plus. Keanu Reeves a vraiment été courtois et généreux avec nous, mais les spectateurs ont mis un certain moment à comprendre que c’était bien lui dans la scène car nous n’avons pas vraiment communiqué dessus.
Toutefois, vu le titre du film, on pouvait s’attendre à ce qu’il soit présent au générique, non ?
Oui, mais j’aime bien aller à contre-courant. Si l’apparition de Keanu Reeves est attendue, j’aime bien l’idée que ce soit juste pour faire la voix d’un petit chaton dans une séquence d’hallucination. Un peu comme George Clooney dans l’un des premiers épisodes de SOUTH PARK, qui est crédité pour les aboiements du chien. J’aime bien subvertir les attentes de la même façon, c’est ce qui donne les meilleurs caméos selon moi, ceux qui nécessitent d’aller vérifier l’information sur le site IMDB.
KEANU fait constamment référence au cinéma d’action, mais j’aimerais savoir comment est-ce que vous avez cherché à concilier cette façon très énergique de filmer, avec les besoins d’une comédie de caractères ?
Je ne sais pas si j’y suis vraiment parvenu. Je voulais vraiment me référer au cinéma d’action de la fin des années 80 et du début des années 90. J’ai déjà mentionné Tony Scott qui est une énorme influence pour moi, mais il y a également Michael Mann car je voulais vraiment inscrire KEANU dans un courant de films de gangsters propres à Los Angeles. C’était important pour moi, car je voulais représenter cette dichotomie d’expériences que l’on peut vivre sur place. Mais c’était difficile de tourner le film à la Nouvelle-Orléans car cela ne ressemble absolument pas à Los Angeles, et nous avons eu du mal à trouver des lieux qui donnent le change. Je suis également très amateur des grandes scènes d’action opératiques à la façon de Sergio Leone et John Woo, et même si j’ai essayé d’en concevoir pour le film, je ne pense pas qu’elles soient vraiment réussies. Ce que j’ai appris sur ce tournage, c’est que j’aurais du créer une sorte de base visuelle qui aurait permis d’ancrer le style du film, quitte à ce qu’il puisse changer d’une scène à l’autre. Et je pense que c’est ce qui manque à KEANU. J’avais vraiment conscience que je ne voulais pas que le film ressemble à une série de sketchs qui référencent d’autres films mais j’ai eu du mal à apporter une cohésion à l’ensemble. Je me suis aussi rendu compte que je ne pouvais pas me reposer sur le montage uniquement, surtout quand une scène ne fonctionne pas au moment du tournage. C’est une méthode qui fonctionne à la télévision et KEY AND PEELE a été conçu comme cela, avec énormément d’improvisation. Mais ce n’est pas la même chose au cinéma. L’un de mes regrets sur ce film a été de me laisser beaucoup trop d’options au montage, alors que j’aurais du m’astreindre à des choix osés qui m’auraient obligés à obtenir un résultat spécifique. C’est ce qui m’aurait permis de trouver cette base visuelle, au lieu de me reposer sur mes acquis télévisuels. Certaines scènes fonctionnent mieux que d’autres car j’avais une idée précise de ce que je voulais faire…
Lesquelles, par exemple ?
Je pense à la scène d’ouverture, même si le studio m’a demandé de la couper de moitié. C’est une scène de fusillade qui fonctionne bien, mais qui dans sa forme originale proposait une petite histoire. Mon idée était de dire aux spectateurs qu’ils sont peut-être venus voir une comédie, mais que l’histoire propose tout de même des enjeux. Il se trouve que le studio se foutait complètement de cet aspect du film, et me demandait de raccourcir au maximum pour que Keegan et Jordan apparaissent plus rapidement. Mais même dans sa version tronquée, c’est une scène qui fonctionne. J’aime également beaucoup la scène où Keegan et Jordan sont attachés et torturés par les frères Allentown, qui sont également joués par Keegan et Jordan. Malgré le fait que le sort s’est acharné sur nous pendant ces deux jours de tournage, notamment car les prothèses de maquillage ne tenaient pas en place, je trouve qu’on ne ressent pas l’artifice et qu’on a vraiment le sentiment d’avoir affaire à quatre personnages bien distincts.
Quelle a été la réception du film à sa sortie ?
Quand la bande-annonce a été dévoilée, la réception fut vraiment très positive. Mais je pense que les gens s’attendaient à un film avec des gags qui fusent en permanence. Nous avons montré le film au festival SXSW, alors qu’il n’était pas encore tout à fait terminé, lors d’une séance de minuit. Et les réactions étaient mitigées. Pas forcément mauvaises, mais mitigées et je pense que cela a heurté la sortie du film. En salles, le film a correctement marché la première semaine, mais CAPTAIN AMERICA : CIVIL WAR est arrivé la semaine suivante et a monopolisé toute l’attention. Au bout d’un mois, KEANU n’était plus dans les salles, et il s’est fait une petite réputation grâce à la sortie en vidéo. Pour ma part, j’ai appris beaucoup de choses à la dure sur ce film et si c’était à refaire, je pense que j’aurais vraiment insisté pour obtenir des réécritures du scénario. J’avais le sentiment que je n’avais pas à faire ça, mais mon approche est vraiment différente aujourd’hui. C’est un film que j’aime bien et j’en suis relativement fier, mais j’ai conscience que ce n’est pas mon meilleur travail et le fait que la réception générale le confirme me pousse à le mettre un peu de côté. Mais je le reverrais certainement un jour, quand je pourrais faire abstraction de sa fabrication et du défi que cela a été de mener le projet à terme.
Maintenant que Jordan Peele a réussi une carrière de réalisateur avec le succès de GET OUT, US et NOPE, pensez-vous qu’il y ait peu de chances qu’ils se réunissent à nouveau en duo avec Keegan Michael-Key ?
Quand nous avons tourné le film, KEY AND PEELE était terminé, et nous avions conscience que KEANU serait une sorte de baroud d’honneur pour leur duo. Je crois qu’ils avaient conscience qu’il n’y avait pas forcément grand-chose d’autre à explorer à ce moment-là. Et c’est vrai que Jordan a eu beaucoup de succès avec GET OUT, et il a clairement fait comprendre qu’il ne voulait pas vraiment retourner devant la caméra en tant que comédien. Je ne vais pas mettre de côté l’idée que l’on puisse refaire quelque chose tous ensemble un jour, mais le succès de KEY AND PEELE nous a permis d’ouvrir des portes et nous en profitons tous chacun de notre côté. J’ai pu tourner la série JEAN-CLAUDE VAN JOHNSON avec Jean-Claude Van Damme, Jordan a gagné un oscar avec GET OUT et Keegan a pu changer de registre et tourner des films différents, sans être cantonné au rôle du rigolo de service. Dès que je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il voulait absolument tourner un film d’action et aujourd’hui, il se retrouve dans THE PREDATOR de Shane Black. Ce sont vraiment ces opportunités qui ont fait en sorte que le duo s’est séparé, mais je sais qu’ils sont très proches et qu’ils se parlent encore très régulièrement.
Entretien réalisé en juillet 2022. Remerciements particuliers à Peter Atencio pour sa disponibilité.
Cet entretien a été publié dans une version raccourcie dans CAPTURE MAG – LE MOOK.