Jon Landau est décédé le 5 juillet dernier à l’âge de 63 ans, des suites d’un cancer. Natif de New York et fils d’un producteur et d’une exécutive de studio, il se fait un nom en devenant, au début des années 1990, le vice-président du département long-métrage de 20th Century Fox. C’est notamment lui, qui représentait le studio face à David Fincher sur le tournage d’ALIEN 3. Après avoir produit TITANIC, il devient l’associé principal de James Cameron, et produit à ses côtés SOLARIS et, évidemment, AVATAR et ses suites. Nous lui avions parlé en 2012, à l’époque de la conversion de TITANIC en 3D. Nous publions aujourd’hui cet entretien tel quel, pour lui rendre un dernier hommage.
On entend beaucoup dire en ce moment que la 3D va de nouveau disparaître, comme ce fut le cas dans les années 1950. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que les gens qui prédisent la mort du relief aujourd’hui, sont les mêmes que ceux qui prédisaient il y a soixante ans la mort de la couleur. Ce que les gens ne parviennent pas à comprendre depuis la sortie d’AVATAR, c’est que le relief pour nous, est ni plus ni moins qu’un moyen d’améliorer les outils qui nous permettent de raconter une histoire. Nous pensons que la 3D permet d’impliquer encore plus le spectateur dans notre scénario, dans nos films, parce qu’elle intensifie les instants dramatiques.
C’est vrai que le relief est systématiquement relié au spectaculaire dans l’opinion générale.
Oui, je crois qu’avec la version 3D de TITANIC, les gens vont se rendre compte que le relief augmente surtout la puissance des scènes intimes. Pour les scènes spectaculaires, vous aviez déjà les explosions, le son, quantité de choses qui vous permettaient de vous plonger dans le film. Mais peu de techniques cinématographiques ont permis d’accentuer la puissance des scènes purement émotionnelles et intimes. Dans TITANIC, quand Jake dit à Rose qu’elle est comme un papillon enfermé dans un bocal, les gens qui verront le film en relief réaliseront à quel point la 3D accentue l’impact que la séquence a sur eux.
Vous avez lu la critique de Roger Ebert à propos de la version 3D de TITANIC ?
Oui.
Et qu’en pensez-vous ?
Je crois qu’il ne sait pas de quoi il parle ! Il n’y a pas un seul plan du film qui n’ait pas été converti. Et il n’a jamais aimé la 3D de toute façon ! Si vous lisez ses papiers, vous réaliserez qu’il n’a JAMAIS aimé ça, et qu’il n’est JAMAIS revenu sur son opinion.
Walter Murch est également très véhément contre le relief.
Mais comment est-ce possible ? Walter Murch a été l’un des pionniers en matière de montage non linéaire, il sait à quel point ces innovations réveillent la colère des réactionnaires. Je pense que les personnes qui sont contre la 3D, sont des gens qui n’aiment pas le changement. Ils ont probablement été réfractaires au son stéréo dans les salles : « Oh, ce son qui vient du baffle droit m’a sorti du film ! » À chaque innovation, vous avez ce genre d’opinion qui fait surface. Je parlais du montage non linéaire, mais ce fut la même chose avec les tournages en numérique. Or, je crois que les trois derniers films qui ont gagné l’Oscar de la meilleure photographie étaient tous tournés avec des caméras numériques (ce n’est pas tout à fait le cas : sur les quatre dernières années, INCEPTION, récompensé d’un Oscar pour sa photo, était tourné en argentique – NDR). Mais il y a dix ans, il y avait des nuées d’oiseaux de mauvais augure qui disaient qu’abandonner la pellicule ne fonctionnerait jamais.
On ne peut nier qu’il y a un souci sur l’exploitation du relief. À Paris, il est difficile de trouver une salle dont le relief est bien réglé.
Mais nous en sommes encore au stade de recherche, de développement. Il y avait les mêmes problèmes avec la couleur au début : les émulsions ne restaient pas sur la pellicule. Même chose avec le son surround : si les pistes sont mal réglées dans la salle, votre plaisir sera gâché. Mais tout ça évolue, et des sociétés comme Christies, Barco, Texas Instrument sortent sur le marché des projecteurs de plus en plus performants. C’est en 2009 que la 3D est arrivée sur le marché, ça n’a donc que trois ans ! Il a fallu plus d’une dizaine d’années pour que les salles s’équipent majoritairement en numérique, et des décennies pour que la couleur soit vraiment au point.
Et quel est votre avis sur le relief post-produit ?
Je pense qu’il y a deux sortes de relief post-produit : le bon, comme celui que nous avons fait pour TITANIC et qui nous a demandé plus d’un an de travail. Pour nous, c’était un processus artistique, et il était important d’y impliquer le réalisateur. Et il y a le mauvais relief post-produit, celui issu de réflexions du type : « Oh mon dieu ! Nous avons tourné ce film, et si on le faisait en 3D ? On va le convertir en six semaines. » Or si, en pleine post-production, alors que le réalisateur s’échine déjà à terminer les effets spéciaux, le mixage sonore et l’étalonnage de son film, le studio décide soudainement de convertir le film en 3D, vous n’aurez pas un bon résultat.
C’est le cas de JOHN CARTER que je viens de voir.
Je ne l’ai pas encore vu pour ma part mais, malheureusement, ça ne m’étonne pas. Ces films sont déjà bien assez pénibles à concevoir comme ça, vous n’avez pas besoin d’ajouter la conversion en plus. Et il faut que le metteur en scène soit de la partie. Si Steven Spielberg voulait convertir JURASSIC PARK, RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE ou LA LISTE DE SCHINDLER en relief, j’adorerais voir ça ! Même chose avec Peter Jackson et LE SEIGNEUR DES ANNEAUX. Créer de la profondeur demande du temps. Et le relief, c’est une question de profondeur, pas de trucs qui jaillissent en dehors de l’écran. Le relief pour James et moi, c’est créer une fenêtre sur un nouveau monde. Si vous faîtes sortir des choses de l’écran, vous brisez la suspension d’incrédulité que vous aurez mis tant de mal à mettre en place pour votre public.
Et il me semble logique que le réalisateur voie le résultat du relief en tournant son film.
Dans l’absolu, oui, mais ce qui est intéressant avec TITANIC, c’est que le style de filmage de Jim sur ce film n’aurait pas changé s’il l’avait tourné directement en relief. Il faisait des plans larges, il laissait les choses s’installer, il donnait le temps au spectateur de pénétrer cet univers.
Et vous pensez que ce serait le cas avec les autres films que vous avez cités ?
Oui, je le pense. Il y a des metteurs en scène, que je ne veux pas nommer précisément, dont les films ne pourraient supporter une conversion en relief, notamment à cause de leur montage frénétique.
Mais n’avez-vous pas peur de lancer un mauvais message avec la conversion de TITANIC, alors que vous et James Cameron défendez les vertus du tournage en relief ?
Mais le message de cette conversion est le suivant : « Ok, vous pouvez convertir vos films. Mais si vous le faîtes, il faudra y consacrer du temps et de l’argent, en l’occurrence 60 semaines de travail acharné et 18 millions de dollars ». L’autre message c’est que, lorsque c’est bien fait et que c’est chaperonné par le réalisateur, cette conversion vous offre une toute nouvelle expérience du film. Moi, je n’ai rien contre le fait qu’ils sortent JOHN CARTER en 3D convertie. Mais s’ils le font, ils sortent le film un an plus tard, pour offrir un beau résultat au public. Mais ils ne veulent pas faire ça, ils veulent que leur produit soit en salles le lendemain de la fin du mixage.
La version relief de LA MENACE FANTÔME vient de sortir en salles, et le résultat au box-office est décevant. Est-ce que cela vous inquiète pour la sortie en 3D de TITANIC ?
Non, cet échec ne m’inquiète pas du tout. Ils ont sorti le Blu-ray quelques mois seulement avant la sortie en salle du film converti. Les gens ont acheté le coffret, se l’ont fait offrir pour Noël. Et six semaines plus tard, vous leur demandez de racheter un billet pour revoir les films en salles (rires) ?! Je ne comprends pas vraiment cette stratégie de marché. Donc, non, on ne s’en préoccupe pas du tout. Moi, ce qui m’excite dans cette ressortie, c’est que j’ai croisé une petite fille de huit ans chez un ami la semaine dernière, et la petite était tout excitée à l’idée de voir TITANIC dans quelques mois. Et elle n’avait aucune idée que le film avait déjà été exploité en salles des années avant sa naissance ! Cette ressortie va nous permettre de toucher une toute nouvelle génération de public. TITANIC est un film que les gens aiment partager. Les parents aiment y emmener leurs enfants, des amis aiment le montrer entre eux. Et une ressortie, dans ces conditions, permet de continuer ces échanges. C’est ça TITANIC.
Quels sont vos autres projets avec Cameron, en plus des suites d’AVATAR ?
Nous développons plusieurs films en relief. Avec Shawn Levy, le réalisateur de REAL STEEL, nous travaillons au remake du VOYAGE FANTASTIQUE. Et avec Martin Campbell, nous développons un film qui s’intitule THE DIVE (aucun de ces films n’a vu le jour – NDR).
Quelle est la prochaine grande étape technique de l’exploitation cinématographique à votre avis ?
Augmenter le nombre d’images par secondes. Pourquoi ? Déjà parce que vous avez une image plus lumineuse et plus précise. Quand on y pense, le standard de 24 images par seconde a été mis en place il y a presque cent ans, pour préparer l’arrivée du parlant à l’écran. Ça n’est donc que la résultante d’une contrainte technique, rien de plus. Mais ça n’a rien à voir avec ce que nous percevons en tant qu’êtres humains. Je dirais même plus : ça n’est pas suffisant pour les informations que notre œil peut enregistrer. C’est pour ça que l’on peut voir l’image trembloter, ou un effet stroboscopique. Tout ceci sera éliminé quand nous filmerons et projetterons à 60 images par seconde.
Mais alors, que penser des avis négatifs sur les premières projections en 48 images par seconde du film LE HOBBIT : UN VOYAGE INATTENDU ?
OK, alors, premièrement : tout dépend de ce que vous recherchez comme look d’image. Moi, je n’ai pas encore vu ces images, donc j’aurai du mal à chercher. Mais deuxièmement, on a entendu l’exacte même réaction au début des tournages en haute définition. Combien de gens ont dit : « Ça ressemble trop à de la vidéo, il faut tourner en film » ? Vous avez vu HUGO, THE SOCIAL NETWORK, AVATAR ? Ils ont TOUS été tournés en HD. Franchement, vous avez trouvé l’image laide ? Ce qu’il faut bien comprendre avec ces techniques, c’est que vous pouvez faire ce que vous voulez avec vos images. Vous n’aimez pas le rendu des 60 images par seconde ? Vous voulez des flous de mouvement par exemple ? Pas de problème : c’est parfaitement faisable. Il n’y a pas assez de grain à l’image ? Avec de simples filtres vous palliez à ce manque.
Ne pensez-vous pas que le relief s’installera pour de bon en salles, quand nous pourrons nous passer de lunettes ?
Je ne pense pas que nous verrons du relief en salles sans lunettes avant bien des années. La bonne question à se poser est dès lors : comment faire en sorte que les lunettes soient mieux acceptées par le public ? Les gens qui vont au bord de la mer, ne se plaignent jamais de devoir porter des lunettes de soleil. Ça fait partie de leur expérience. Je pense que l’on peut faire en sorte que ce soit la même chose pour les gens qui vont aller en salles. Il faut améliorer la qualité des lunettes. Il faut que des gens qui portent des lunettes de correction, puissent en avoir qui soient adaptées au visionnage des films en relief, comme cela se fait pour les lunettes de soleil. Mais mieux encore : je pense que l’on peut en faire une vraie valeur ajoutée. Par exemple, une paire de lunettes obtenue en salles, pourrait être employée face à votre ordinateur pour vous offrir un supplément de contenu. Il y a un tout nouveau business plan à définir ici.
Ces propos ont été recueillis le 28 février 2012, par téléphone, dans le cadre d’un article consacré au Monde et paru le 7 avril 2012. Merci à Alexis Rubinowicz.